Vulnérabilité

Hier, je regardais pour la énième fois le TED Talk de Brené Brown sur le pouvoir de la vulnérabilité. Si vous ne l’avez jamais vu, cliquez ici. 

Je l’ai écouté pour la première fois il y a une dizaine d’années, à une époque où je ne savais même pas ce que signifiait être vulnérable. La vulnérabilité ? Brené la définit comme « la capacité de se laisser voir tel que l’on est, vraiment tel que l’on est. »

Brené Brown est une chercheuse en sciences sociales, elle étudie les relations humaines, les connexions entre les gens, ce qui nous rapprochent. Elle dit, « quand vous avez travaillé dans le social pendant 10 ans, vous réalisez que les relations humaines sont la raison de notre présence sur terre. C’est ce qui donne un but et du sens à nos vies. »

À l’époque où j’ai entendu pour la première fois Bréné parler de vulnérabilité et de honte, je n’avais aucune idée que me montrer en entier, et surtout m’aimer en entier, pouvait avoir un impact aussi significatif sur ma vie. Ma zone de confort émotionnelle était si restreinte, que toute personne ou situation qui me mettait en contact avec mon ressenti authentique devenait l’ennemi à abattre. J’étais en colère, j’avais honte des dégâts que ça causait, j’avais mal partout, je détournais les yeux comme pour me faire disparaître. Je ne voulais pas me regarder en face, je me déplaisais, je ne m’aimais pas. 

« Votre corps est essentiellement une galaxie et un univers autonomes, avec des milliards de connexions et d’interactions… »

Qu’y avait-il dans ma boîte de Pandore, mon espace intérieur ? Des rappels d’évènements désagréables qui me faisaient plisser les yeux et me boucher les oreilles, des souvenirs d’abus, des personnes que j’avais abusé en retour, pas toujours en relation avec le noeud d’origine. Du dégoût, des chagrins à n’en plus finir, du mal-être, des deuils, de l’injustice, du rejet, des mots durs, des critiques… Un bordel de casseroles s’étaient accumulées dans mon espace vital, jusqu’à m’en faire oublier que c’était mon devoir de trier, sortir mes poubelles, de pardonner, de me pardonner, et surtout que je n’étais pas ces vieilles choses. J’étais l’espace autour. 

En somme, rien de bien extraordinaire ni honteux dans ma boîte, de simples résidus d’existence humaine on ne peut plus communs. Et pourtant assez pour ne pas me sentir aimable, donc une bonne excuse pour ne pas me laisser aimer. 

C’est un long voyage qui nous ramène vers notre coeur, en commençant par écouter, simplement écouter toutes ces voix en soi, en nous. Comme le dit Brené, « La définition originelle du mot COURAGE — vient du latin -cor, signifiant coeur — est : raconter qui nous sommes de tout notre coeur.« 

Créature extraordinaire, ceci est ton coeur

« Ainsi, ces gens (ndlr : qui embrassent la vulnérabilité) avaient, très simplement, le courage d’être imparfaits. Ils avaient la compassion nécessaire pour être gentils, tout d’abord avec eux-mêmes, puis avec les autres, car, à ce qu’il semble, nous ne pouvons faire preuve de compassion envers les autres si nous sommes incapables d’être gentils envers nous-même. Et pour finir, ils étaient en relation avec les autres, et — c’était ça le noyau dur –de par leur authenticité, ils étaient disposés à abandonner l’idée qu’ils se faisaient de ce qu’ils auraient dû être, de façon à être qui ils étaient, ce qui est un impératif absolu pour entrer en relation avec les autres. » (Brené Brown)

Commencer à vivre avec la vulnérabilité fait trembler de partout. C’est comme retirer une armure, avec la peur de se faire lyncher, rejeter, humilier. Alors pourquoi le faire ? 

Parce que c’est nécessaire pour être en connexion authentique avec nos proches, avec l’autre, pour faire de la place aux émotions qui font du bien comme la joie et l’amour, sortir des comportements addictifs (médicaments, drogues, alcool, nourriture, relations toxiques etc etc) que nous mettons en place pour oublier la honte, le dégoût, la peur, la tristesse… C’est nécessaire pour être complet et heureux. S’accueillir de manière plus entière c’est aussi donner à l’autre plus d’espace pour exister et respirer. Je le vois tous les jours dans ma salle de shiatsu. 

Gautama, le célèbre éveillé historique, enseignait que le bonheur est notre état naturel. Le reste n’est « qu’impuretés ». Les reconnaître les libèrent très simplement, pas besoin de plus. Akinobu Kishi, Monsieur Seiki, rappelait qu’il y a toujours du ciel bleu derrière les nuages. De la même manière, il privilégiait la présence authentique, sans besoin de changer ou d’intervenir dans le processus. « Just looking is enough ». Rappelons-nous plus souvent, imparfaits, libres et heureux.

Toussaint et fête des morts

Il y a quelques années la Toussaint était pour moi un jour comme les autres, avec un vague respect pour la tradition, une éventuelle visite familiale au cimetière. Et puis j’ai participé à ma première « Soirée sur les morts » avec Jean-Marc Leclercq. Ce dernier propose cette soirée conviviale chaque année autour du 31 octobre, afin que les invités aient l’occasion de partager librement leurs expériences, visions, rapports avec la mort, parler du deuil, évoquer leurs difficultés, se rappeler les pratiques traditionnelles mises en oeuvre lors d’un décès, et leurs pourquois. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent, en fin de la soirée, prier ensemble un instant pour leurs morts.

Cette soirée intime m’a permis de me familiariser avec un thème qui pendant longtemps me mettait mal à l’aise, comme beaucoup d’entre nous. Le sujet est abordé avec tact et douceur, afin que chacun se sente en sécurité et libre de croyances et de pensées. J’ai réalisé au fil de mes années d’exploration intérieure et de rencontres thérapeutiques, que le deuil et les morts traumatiques de la famille et des proches, étaient toujours très présentes dans la vie des vivants, souvent pénibles et lourdes, et que beaucoup ne savent plus comment faire leur deuil et retrouver leur souffle, voire leur envie de vivre. Nous portons tous nos morts dans nos coeurs, et il est essentiel pour notre santé (au sens large) et celle de notre famille, d’être en paix avec la mort.

Cimetière shinto au Japon

Se guérir de la peur de la mort, se sentir en paix avec ses morts, est un chemin extraordinairement riche en enseignements, et avec elle nous touchons au coeur de la vie, du cycle éternel. L’essentiel n’étant pas d’imposer une Vérité sur ce qui se passe après la mort, mais bien d’écouter sincèrement ce qui résonne en soi lorsque l’on pense à notre propre mort ou à un proche décédé, et s’assurer que cette partie de nous est autant que possible détendue et sereine. Cela demande un temps, un moment, pour soi, pour la famille, pour prendre la main à une part de nous, une part de l’autre, qui aurait besoin d’aide. C’est fermer les yeux et respirer ensemble un instant, afin de s’alléger chaque année un peu plus, d’un poids aussi lourd que la perte de l’être aimé était considérable. Une pensée, lorsqu’elle est offerte en pleine conscience et sincérité, peut faire des miracles.

Le rituel proposé, d’inspiration shinto, est simple : « au nord, dresser un petit autel pour prier les morts. Disposer deux bougies en laissant une place au milieu pour y déposer une photographie du ou des défunts (on pourra à défaut y mettre une feuille avec leurs noms). Dans des coupes non métalliques, trois au total, que l’on positionnera à gauche de la bougie de gauche, au centre et à droite de la seconde bougie. Verser de l’eau dans celle de gauche. Déposer des céréales dans celle du milieu et du sel dans la troisième. 

Méthode : 

On allume les bougies.
On se met en position de prière.
On appelle l’âme. On lui envoie des prières, de l’amour, des beaux souvenirs, des images de bonheur.
Ensuite on lui dit au revoir et on lui indique qu’elle doit continuer sa route.
On lui dit au revoir.

On ferme son esprit.
On mouche les bougies.
On claque les mains à hauteur du visage, à gauche, au milieu et à droite. »

Selon le maître de Jean-Marc, Michio Kushi, « faire ce rituel au minimum sur un temps de 7 jours, d’usage, si on réalise ces prières 7×7 jours donc 49 jours, l’âme du défunt retrouve la lumière. »

Cimetière Shinto au Japon, avec une statue de Kannon / Quan Yin, représentant l’amour compassion.

Je vous invite à prendre un moment aujourd’hui pour honorer vos morts, leur souhaiter bon voyage et un repos paisible. Ce peut être en leur apportant une offrande, par exemple une fleur, un voeu de bonheur, une pensée heureuse, tout en profitant du calme d’un cimetière. Je m’étonne chaque année du bien que ça me fait, et des sourires que j’entrevois aux visages de celles et ceux qui prennent le temps de visiter leurs morts au 1er novembre. Ce peut -être aussi un instant chez soi, ou en pleine nature, au détour d’une rêverie, accompagné d’une photo, d’un souvenir. Les enfants aussi sont généralement heureux et rassurés de partager ce moment avec vous. Peut-être même pourront-ils vous aider à vous guérir d’un deuil difficile.

Je vous souhaite que cela vous aide à retrouver une relation saine et respectueuse avec la mort. Elle n’est pas une punition, pour qui apprend à la regarder telle qu’elle est, partie intégrante du cycle de la vie.

Une excellente fête des morts à toutes et à tous

Julie

Crédit photos : Cyril Rouxel