Retour du séminaire Seiki 2019 au Japon

Nous étions 33 à nous retrouver à la gare centrale de Kyoto, plateforme 30-31, un doux mardi de septembre 2019 à 13h : du Japon, de France, d’Italie, de Suisse, de Belgique, d’Allemagne, d’Ecosse, d’Angleterre, d’Autriche, d’Espagne, de Turquie… 21 femmes, 12 hommes. Tant de possibilités.

Akinobu Kishi Sensei lors de son dernier séminaire Seiki au Japon en 2011 / © Catherine Dompas

C’était le 8è séminaire Seiki au Japon, une tradition lancée par Akinobu Kishi Sensei en 1981 pour permettre à ses étudiants européens de découvrir le Japon originel, ses traditions et sa culture, la pratique du shintô, la nourriture, les temples, les sanctuaires, la nature, les arts… pour se plonger authentiquement dans un pays dont tant parlent et s’inspirent mais avec lequel peu se connectent véritablement.

Kishi Sensei nous ayant quittés en 2012, sa veuve Kyoko Sensei nous a fait l’honneur de restaurer la tradition 7 ans après le décès de son époux.

Nous étions donc 33, 3 organisateurs et 30 privilégiés. Nous savions que c’était la chance d’une vie de participer à ce voyage, à cette expérience dans des conditions exceptionnelles, invités et attendus dans des lieux que même la plupart des nippons ont oublié ou auxquels l’accès est limité et réservé à des membres.

Au delà de la beauté naturelle du pays, des paysages, de la qualité de la nourriture, de la gentillesse et de la courtoisie extraordinaire de ses habitants… j’ai envie de partager mon expérience d’un point de vue très personnel, à travers l’expérience de Seiki, ce que la pratique en sa terre d’origine m’a apportée, ce que cette exploration a changé dans ma manière de la vivre et de la transmettre au quotidien.

C’est quoi Seiki ?

Seiki est si vaste qu’il est difficile à définir. Seiki n’est pas une nouvelle technique de shiatsu, bien que… à chacun d’y faire son chemin.

Après quelques années de pratique, je vois en Seiki une recherche, celle de la mère de toutes les thérapies guidées par la compassion, manuelles et non. Seiki est la simplicité, l’évidence, le « honest touch », le toucher sincère et empathique d’humain à humain, un partage qui enrichit les 2 parties, la rencontre de kokoro à kokoro, comme disent les japonais, Ishin-Denshin, on pourrait dire de coeur-âme à coeur-âme. La rencontre sincère et ouverte soigne, alors que les frontières entre 2 consciences individuelles s’effacent ou que l’on ne sait plus qui donne et qui reçoit. Kyoko Sensei dit, « Alone And Together feeling ». Seiki est aussi éminemment pragmatique, et se base sur l’observation et la pratique avant la théorie.

En découvrant Seiki, j’ai observé que j’avais tant de murs en moi, si familiers qu’ils m’étaient devenus invisibles. Pratiquer Seiki c’est apprendre à voir ses limites, les reconnaître et continuer à se présenter au-delà. Avec la respiration des espaces de transition s’ouvrent et permettent le changement. Kishi disait, « Only looking is enough« , « Juste regarder est suffisant ». Se poser, attentif, accueillir ce qui se présente, laisser faire ou faire sans faire.

Il y a pour certains quelque chose de mystique dans la pratique de Seiki, comme tout ce qui nous offre une reconnexion à l’infini et un élargissement de conscience. C’est enivrant, libérateur. « Derrière les nuages il y a toujours le ciel bleu. », disait Kishi.

La Jinja principale au Motoise Naigu shintô shrine

Les pratiquants de méditation savent de quoi je parle, ils ont appris à observer avec équanimité, à se poser en simple témoin des manifestions de la vie à chaque instant. C’est suffisant pour participer activement à sa magie. La conscience de ce perpétuel changement transforme, la présence détache l’observateur du drame et apaise l’émotionnel, le mental se calme et la vision se clarifie.

Ainsi, Seiki c’est de la méditation à deux, tout du moins à plus d’un autant qu’avec soi-même, seul et ensemble. Ça peut être aussi moi et moi, moi et le chat, moi et l’arbre, moi et la rivière… Moi et l’autre, et l’autre devient moi.

Kyoko Sensei dit, « Seiki is shintô practice. » Seiki c’est la pratique du shintô. Je me rappelle avoir lu dans Shintô, Sagesse et Pratique de Motohisa Yamakage, alors que je commençais à m’intéresser à la religion traditionnelle japonaise, que l’on pourrait demander à mille prêtres shintô au Japon une définition du shintô, on obtiendrait mille définitions différentes. Pour un occidental cela n’a aucun sens. Pour un japonais ça semble ne poser aucun problème. Après mon expérience au Japon, ma définition du shintô en cet instant serait, « une invitation à observer ma propre nature à travers la nature, dans une recherche de paix et d’harmonie. » Ça pourrait aussi être quelque chose du style, « Qui suis-Je? »

Selon la pensée shintô, Dieu est la nature nous confie Kyoko. À l’origine du shintô, pas de sanctuaire en bâti, mais des cercles de pierre, des arbres sacrés, le soleil, la lune et les mouvements de la vie des plus grands aux plus infimes à observer et desquels apprendre, dans lesquels se refléter, se miroiter, apprendre à voir et à écouter.

Comment je vis Seiki

Avant le cours d’Aïkido au sanctuaire Oomoto, Kameoka, préfecture de Kyoto

Seiki est un mouvement libre principalement développé en Europe, sans fédération officielle ni structure légale, et je suis favorable à ce qu’il le reste. Le coeur de Seiki est invisible pour les yeux, il est dans les silences, entre les mots et entre les lignes, dans l’espace et l’infini. C’est ce qui le rend à la fois si doux et si puissant.

Seiki n’est pas un diplôme ni une marque déposée, et ne peut pas s’apprendre dans les livres. C’est une culture essentiellement orale, qui se transmet lors d’ateliers et espaces d’échanges. Selon la tradition ouverte par Kishi Sensei, tout le monde est bienvenu sans pré-requis dans les workshops. C’est un partage, une initiation, autant qu’une recherche, une direction, une voie. Un jour on a demandé à Kishi Sensei combien de workshops étaient nécessaires pour bien apprendre Seiki, il a répondu, « One is enough », « Un est suffisant. » Pas de degrés, pas de niveau, venir et participer, jouer le jeu comme on peut est suffisant. Chacun arrive et repart libre. Puis toute une vie et chaque instant pour pratiquer. Pas de maître, une Sensei actuellement, Kyoko Kishi. Une source : l’observation de la nature.

Selon Frans Copers, « Seiki est une découverte, de capacités que tout le monde a et que l’on a oublié, c’est une recherche, ça veut dire que ça change tout le temps, et c’est un développement. Alors le seiki c’est impossible à définir. »

Seiki change de forme et évolue avec chacun, mais ses bases restent les mêmes : observer intensément et ouvertement avant d’éventuellement faire, sans volonté. Seiki est simple, Johannes dit souvent que les enfants savent le faire plus facilement que les adultes. Pour autant transmettre cette simplicité, cette essence, exige une rigueur, une humilité et une clarté d’esprit encore rare. Kyoko Sensei l’enseigne merveilleusement, insistant sur la simplicité, l’importance de se donner du temps, de se détacher du résultat, de laisser de la place à son partenaire, le laisser respirer. Elle rappelle que, en recherche de nouvelles techniques, « on en oublie les choses simples ».

Ce que le séminaire Seiki au Japon m’a apporté

Presque 2 mois sont passées depuis mon retour du Japon

Premier constat : je suis en bonne forme alors que l’automne écrase le moral de tant de personnes. Je prends soin de moi avec une certaine facilité, j’écoute mes besoins sincères, je définis mon territoire et ses limites avec plus de clarté. Ceci est une réelle avancée et un soulagement après une année tumultueuse.

Second constat : je me sens apaisée et sereinement heureuse, j’ai pardonné beaucoup à moi et aux autres, j’ai lâché certains vieux rêves qui ne me correspondaient plus et m’alourdissaient. Je me sens ouverte, confiante, fièrement plantée dans mes deux pieds, bien dans ma peau, libre et légère. Je m’affirme plus aisément qu’avant, mon intuition et mon ressenti sont clairs, j’accepte mieux les critiques.

Troisième constat : Seiki est une porte qui dérange le monde du shiatsu en Europe, peut-être parce qu’il est inclassable. Kishi a poussé les murs et se moquait des cases, il faisait son truc, il s’amusait comme un enfant. Il n’est pas évident d’accepter la nature libre de Seiki, son étonnante complexité au sein même de sa simplicité, et inversement. Seiki ne peut se comprendre avec la tête, on y perdrait l’essentiel. Seiki se vit, et pour l’heure j’y trouve mon compte.

Quatrième constat : Seiki c’est aussi une communauté d’enfants terribles, de nomades, d’explorateurs, qui aiment se retrouver dans différents lieux, diverses cultures, paysages, saisons, langues et pays, pour le plaisir de pratiquer le « sentir », de partager des pleurs et des rires, de discuter, d’échanger autour d’un verre ou d’un bon repas, de chanter, de pratiquer. Seiki c’est un peu la cour de récré, du hors-les-murs : il y a des affinités, des clans, des certitudes qui se forment et se déforment, des nouveaux et des anciens, des jeunes et des vieux, du n’importe-quoi, du très sérieux, des gardiens et des rebelles, des traditionalistes et de nouvelles vagues, des égarés. Et moi là-dedans j’aime un peu tout et tout le monde, comme je peux, parfois je me cache et parfois j’ose. La vie quoi.

Cinquième constat : pas besoin de choisir entre shiatsu et seiki. Les deux peuvent s’accompagner, pour moi ils sont comme les deux faces d’une même pièce. J’ai constaté que certains praticiens de shiatsu qui venant découvrir seiki en atelier étaient déstabilisés par la simplicité et l’absence de faire. En réalité, ça ne remet en question que ce que l’on a appris de la pratique, pas la pratique en soi. Seiki peut ouvrir de nouveaux espaces d’explorations en shiatsu.

Namikoshi est le créateur en 1940 du Japan Shiatsu College à Tokyo, la première école officielle et reconnue de shiatsu professionnel. Il est aujourd’hui encore considéré comme un des maîtres-enseignants majeurs de shiatsu moderne avec Shizuto Masunaga. Ce poème est célèbre partout au Japon.

Je pensais aussi devoir faire ce choix, et cela me mettait mal à l’aise. Depuis j’ai pratiqué, étudié, rencontré des étudiants de toute l’Europe, et j’explore sans me limiter, à la recherche de mon mouvement originel. Seiki est si essentiel, qu’il nourrit et donne une nouvelle inspiration à tant de personnes qui ont perdu le contact avec leur être profond. J’ai vu venir dans les ateliers des artistes, des praticiens d’arts martiaux, des kinésithérapeutes… À ma connaissance la majorité y trouve une résonance, des territoires oubliés en eux-mêmes qu’ils recontactent avec plaisir.

Après ma rencontre avec Seiki en 2017, puis en m’intéressant aux recherches d’Akinobu Kishi aux sources du shiatsu et des arts thérapeutiques japonais, en pratiquant, en allant en terre nippone, ma définition du shiatsu s’est ouverte, comme je me suis ouverte à ses formes diverses en Europe.

Peut-être qu’en fixant des codes de shiatsu trop rigides, on a perdu des éléments essentiels à son efficacité et à son harmonie. Peut-être que Tokujiro Namikoshi, bien avant son élève Kishi et la voie qu’il a ouverte avec Seiki en 1979, l’avait compris. Voilà, selon moi, le lien subtil entre shiatsu et seiki.

Pour en savoir plus :

Le livre Seiki, la vie en résonance, par Akinobu Kishi et Alice Whieldon

Le groupe Facebook Seiki en France, pour connaître les prochaines dates françaises

Le site Seiki Lille, régulièrement réactualisé avec les nouvelles dates d’atelier

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Prochaines dates Seiki à Lille avec Frans Copers : Du 17 au 19 avril 2020 (COMPLET- liste d’attente ouverte) –> prochaine date dans les mêmes conditions du 9 au 11 oct 2020, LES RÉSERVATIONS SONT OUVERTES via SeikiLille@gmail.com